Première Table Ronde

 

Je voudrais inviter les intervenants de la première table ronde s’il vous plait à s’installer à mes côtés.
Alors, Emmanuelle Barbara vous êtes donc avocate spécialisée en droit social et vous exercez au sein du cabinet Auguste Bousy, bonjour.
Avec nous également Guillaume Cairou, président fondateur de Didaxis, bonjour Guillaume.
Sébastien Bareau, représentant de la CFDT, bienvenue et Olivier Babeau qui va nous rejoindre dans quelques minutes qui est président fondateur de l’institut Sapiens, également professeur en gestion d’entreprise à l’Université de Bordeaux.

Peut-être en préambule et avant qu’on ne commence vraiment à aborder le sujet de la table ronde, je vais juste vous demander de vous présenter de manière un tout petit peu plus détaillée, Sébastien on va commencer avec vous, vous avez une double casquette, vous dirigez à titre personnel une entreprise de portage, dans le même temps vous êtes représentant du personnel pour la CFDT, dites nous en juste un tout petit peu plus sur votre parcours

 

  • Bonjour, effectivement c’est assez paradoxal, oui et non, je travaille dans l’univers du portage salarial depuis 1999 donc j’ai un petit peu d’expérience, je suis peut être même l’un des plus vieux dans la profession, beaucoup ont pris leur retraite, ont vendu ou ont transmis leur entreprise depuis, et il est vrai que très rapidement, dès les années 2000-2001, je suis devenu délégué du personnel pour la CFDT en tant que salarié interne d’une société de portage salarial.
    Ensuite, en 2005 2006, la section syndicale CFDT de cette entreprise a créé sa propre structure, on s’est un peu séparés quelques années après, et j’ai recréé une structure il y a maintenant deux ans, deux ans et demi, dans laquelle mes deux autres associés sont aussi syndiqués et syndicalistes, un qui est dans la salle et qui émarge aussi à la CFDT et un qui est depuis très longtemps chez FO.En soi on peut être syndicaliste représentant du personnel et aussi être entrepreneur et avoir envie de créer des choses pour la profession et puis, tout simplement, je pars du principe que si les consultants avec qui je travaille au quotidien se sentent bien, et bien ils vont être bien pour travailler, c’est du win-win, c’est pour ça que le système paradoxal, je pense que non, on peut être patron et syndicaliste salarié c’est pas un si grand écart que ça finalement

 

  • Merci beaucoup, Guillaume, est ce que vous nous redites en quelques mots la philosophie de Didaxis hiworkers, peut être aussi présenter à travers quelques chiffres clés cette entreprise de portage ?

 

  • Guillaume Cairou, Didaxis-Hiworkers, il se trouve que je suis aussi un ancien syndicaliste puisque j’ai été moi-même salarié, fonctionnaire de l’Education Nationale, représentant conseiller du salarié dans une organisation qui va intervenir tout à l’heure. J’ai été salarié, j’ai eu différents statuts, j’ai été indépendant, et à un moment donné, j’ai rejoint un petit groupe de professionnels, qui avaient tous et toutes plus de 50 ans et on a décidé de se mutualiser, de mutualiser la gestion de notre activité, en créant il y a 15 ans, Didaxis, à l’époque qui était pas encore développée avec son réseau de travailleurs indépendants.C’est deux choses à la fois, Didaxis-Hiworkers c’est à la fois, un écosystème qui nous permet tous ici dans la salle, il y a des salariés, des représentants d’entreprises de portage salarial, il y a des organisations locales, tout ça c’est un écosystème, c’est l’une des premières demandes aujourd’hui des talents que nous accompagnons, de rejoindre une communauté, un écosystème et à côté de ça, une plateforme de services aux indépendants, parce que au même titre que mon voisin Sébastien est à la fois syndicaliste et entrepreneur, nous avons chez nous des professionnels, moi je parle plus de « talents » que de « portés », parce que, excusez-moi mais, Emmanuel en parlera mieux que moi, c’est vrai que ça existe depuis 30 ans ce terme là mais on a quand même des termes qui sont difficiles, réducteurs, et moi j’ai du mal, je crois que je n’ai jamais appelé l’un de ces talents un porté, un salarié porté, pour moi c’est un professionnel, un talent qui a une expertise et qui a une indépendance. Il y a 15 ans quand j’ai parlé des indépendants portés par Didaxis, on me disait ce sont des salariés, aujourd’hui on comprend bien que les portés sont des indépendants, qui bénéficient de la protection du salariat, ça tombe bien c’était le programme de notre président mais je ne voudrais pas monopoliser la parole sur ceci.

 

  • parce qu’on va revenir, bien sûr, sur ce sujet, merci Guillaume.
    Emmanuelle Barbara, vous êtes là parce que vous êtes avocate, pour nous éclairer sur la vision que vous avez du portage salarial, quel est le lien que vous avez avec le portage salarial actuellement ?

 

  • J’ai le regret de vous dire, hélas, que je n’en ai pas, professionnellement, donc c’est peut être un bon signe pour ceux qui sont concernés et un très mauvais pour l’artisanat en terme de business development. Ce que je veux dire c’est que ça n’a pas eu le temps de percoler au point qu’il y ait des, on va prendre un concept évident, des contentieux au sein d’une entreprise, ça fait quand même 30 ans que j’exerce ce métier, spécialisée en droit du travail et ce concept en soi, cet écosystème, a l’air de fonctionner un peu dans un monde, dans une sorte de vase clos précisément, j’ai vérifié, il y a très peu de jurisprudence sur la question, et c’est donc intéressant comme signal. Je ne suis pas seule dans mon cabinet, nous sommes 35 avocats à exercer le droit du travail, j’ai fait un rapide tour de piste de mes camarades et ils m’ont confirmé également être dans la même situation.Mais cela dit, si je peux ajouter juste un point à ce stade, c’est un concept absolument passionnant au plan juridique, et la raison pour laquelle j’ai beaucoup d’affection pour ce concept, c’est que c’est la capacité, notre génie collectif, notre génie juridique, pour arriver à rendre élastique un concept qui nous fait tellement nous, je veux parler du contrat de travail, qu’on a réussi le prodige, ça me heurte de le dire, le prodige, de voir un contrat de travail dont la source du travail provient du porté, c’est absolument magnifique, c’est une torture de concept, et ça marche ! Pourquoi ? À cause de l’avenir qui se profile et de ce que l’on appelle les statuts atypiques, encore un mot dépréciatif.Je clôturerais mon petit point d’introduction sur le mot « portage » : portage, c’est une pub pour Ikea ? On a l’impression, ça fait un mot qui a la même sonorité que bricolage, j’attire l’attention du champ sémantique de notre législatif, avec, dans un autre domaine, l’auto-entrepreneur, ou la micro-entreprise. C’est assez peu laudatif. Le portage salarial, on pourrait faire un effort pour rendre un peu de rose aux joues à ce terme de manière à le rendre en soi plus attractif, par le mot, parce que portage, pardon mais ça ne veut rien dire, et en plus c’est très laid, et enfin ça restitue assez mal dans le fond l’incroyable talent qu’il faut avoir pour jouer dans le même temps le salarié modèle, il a quelques obligations, j’ai vérifié, et le développeur, celui qui va trouver le business, c’est un artiste complet.

 

  • Merci Emmanuelle on va bien sûr revenir en détail sur tout ça, bienvenue à vous Olivier Babaut, alors je rappelle vous êtes président fondateur de l’institut Sapiens, vous êtes également professeur en gestion d’entreprise à l’université de Bordeaux, on est en train juste de présenter les uns les autres et le rapport au portage salarial, juste vous demander de rappeler rapidement le rôle de l’institut Sapiens et son intérêt pour les nouvelles formes de travail ?

 

  • Oui merci de votre invitation, bonjour, désolé de mon retard, mais je sors de cours, de Paris II, j’ai quelques cours en formation continue, je suis absolument confus.
    L’institut Sapiens, comme la première Syntech française, nous sommes un Syntank alors c’est comme le portage on n’a pas de joli mot, en français en tout cas, Syntank c’est un cercle de réflexion, non partisan, indépendant, à but non lucratif, on est une association, et nous produisons de la pensée mais nous ne sommes pas que ça, parce que pour moi un Syntank c’est aussi un endroit où l’on communique, c’est un média, l’année dernière nous avons fait 500 reprises presse, télévision radio, presse nationale. Il n’y a pas une journée où nous ne sommes pas dans un média national et probablement plusieurs fois par jour, parce que c’est très important de communiquer, une pensée produite avec des experts n’a pas d’intérêt si elle n’est pas diffusée le plus possible. On essaye d’être un mouvement citoyen aussi, puisque nous avons des antennes un peu partout en France qui se développent. Donc c’est d’abord un réseau, ce sont des gens qui viennent, qui participent à nos petit-déjeuners, after works, nos groupes de travail et qui produisent de la pensée qu’on diffuse le plus possible, elle est gratuite et en ligne, tout est en ligne gratuit et tout est donnée pour pouvoir être partagé et on a la chance que ce soit souvent présenté à l’Assemblée, au Sénat.
    On a l’oreille des politiques, on est comme Sacha Guitry avec les femmes, avec la politique, on est contre, tout contre. On essaye de surtout pas en faire, on veut pas faire de politique en revanche on veut faire LA politique, et je trouve qu’on n’y arrive pas trop mal, et nos idées sont un peu reprises.On a travaillé sur le sujet depuis notre création, même si on est relativement jeunes, on a travaillé sur la blockchain, et des choses comme ça, on fait bientôt une conférence à Sciences Po sur blockchain et travail, en partenariat avec eux là-dessus, on fait un cycle et on fera blockchain et alimentation, blockchain et crypto monnaie, on a travaillé sur l’absentéisme au travail et sur le coût collectif de l’absentéisme au travail qui est lié aux problématiques du mauvais management mais aussi à la difficulté pour certaines personnes de trouver leur place au travail et je pense qu’on est dans le sujet du portage salarial, c’est à dire une façon de vivre son travail d’une façon qui nous satisfasse et je crois qu’aujourd’hui on a ce problème plus que jamais avec des formes nouvelles à inventer. On travaille aussi sur la mobilité sociale, sur la façon, à travers l’entrepreneuriat mais aussi des systèmes d’accompagnement, de coaching pris très jeunes chez des jeunes dans certaines zones défavorisées, on peut arriver à avoir des formidables histoires de réussite et on travaille avec beaucoup d’organisations et d’associations sur ce sujet-là.Evidemment on s’intéresse beaucoup aux évolutions du travail, à cette extraordinaire destruction créatrice, disons le, si on est optimistes, en tout cas destruction c’est sûr, création on l’espère et là on s’intéresse aux nouveaux métiers et donc derrière les nouveaux métiers, évidemment les nouvelles façons de travailler, de former aussi, en tant qu’enseignant comment vous allez pouvoir former, moi les jeunes que j’ai aujourd’hui à l’université ils ont 24 ans, ils seront encore sur le marché du travail à 70, qui peut dire en 2070 de quoi on aura besoin pour travailler et être utile, moi j’ai une certitude c’est que ça va pas être l’emploi à vie, l’emploi stable et la même entreprise avec les mêmes compétences pendant 30 ans, ça on en est sûr.

    Maintenant quelle forme ça va avoir ? On a besoin d’évolution des structures juridiques et réglementaires pour la façon dont on va pouvoir accompagner ce travail et ces besoins économiques qui mutent

 

  • merci à vous.
    Patricia Guignard l’a rappelé dans son discours d’introduction, vous avez dressé un état des lieux du portage salarial, rappelé quelles sont ses racines, on l’a dit, le portage est né dans les années 80, il fallait permettre à des seniors de retrouver une activité, Guillaume Cairout aujourd’hui si on devait dresser une rétrospective, quelle serait-elle, comment ça a changé ?

 

  • Ça a évolué assez rapidement, moi en 2004 lorsque j’ai créé Didaxis, en France il y avait une trentaine de sociétés de portage, tout à l’heure Patricia a rappelé, c’est 728 aujourd’hui, ce sont les chiffres d’il y a un an et demi, donc limite déjà un peu vieux, il se crée à peu près une centaine de sociétés de portage salarial par an aujourd’hui, grosso modo on n’est pas très loin de ça, on doit être à à peu près 800 entreprises de portage aujourd’hui. En terme de portée à l’époque, vous étiez, pour ceux qui, une grosse partie de professionnels portés dans la salle, vous étiez 5000 en 2004, même si le dispositif remonte aux années 80, vous n’étiez que 5000, aujourd’hui on a fait une estimation, à peu près 86 000, c’est à la fois beaucoup et en même temps peu par rapport au marché global du travail, il faut voir que ces travailleurs agiles ne représentent qu’une toute petite partie de la fluidité du marché du travail.Effectivement on est là pour parler de l’engagement pour l’emploi de demain, et cet emploi de demain, le portage salarial est un des outils, ce n’est pas le seul, et interroge sur la façon dont on va travailler demain, nous en tant que talents, porteurs d’une expertise, et toutes ces TPE PME artisans, commerçants, qui aujourd’hui souffrent, l’économie française, pour ceux qui suivent l’actualité, ne se porte pas aussi bien qu’on l’espèrerait et on a ces nouvelles formes de travail, ces formes hybrides et atypiques qui vont créer 20 fois plus d’emploi que ça ne représentait il y a 10 ans et avec un potentiel important, maintenant il n’est pas inépuisable ce potentiel, c’est à dire que des détracteurs pourraient dire on va déshabiller Pierre pour habiller Paul, si on ouvre les vannes du portage salarial, qu’est ce qui va diminuer, est ce que c’est l’intérim, est ce que ce sont les micro-entrepreneurs, en tout cas ça interroge, donc en terme de volume, aujourd’hui on a parlé d’un peu plus d’un milliard d’euros, selon les sources on a entre 900 millions jusqu’à 1 milliard, 1.3 milliard.Nous on est partis de chiffres, la fédération est partie de chiffres issus des greffes des tribunaux de commerce donc ce sont des chiffres fiables, on ne savait pas qu’il y avait autant d’entreprises de portage salarial en France et par voie de conséquence de travailleurs qui l’utilisent. Petite chose qu’il faut savoir, le turn over dans les entreprises de portage salarial, notamment dans les populations qui utilisent le portage salarial est important, je vois chez Didaxis, les missions ne durent pas ad vitam aeternam, chez un client, sur un territoire, dans un métier, on a parlé de transformations du marché du travail et des organisations, elles font que tous les professionnels qui interviennent sur un marché sont obligées de s’adapter à ce marché, et les missions ne sont pas inépuisables et il y a effectivement un turnover important qui est de l’ordre d’au moins 30% et donc ce qui est intéressant c’est pas juste cette photographie de ces 86 000 travailleurs portés, c’est la photographie des 500 000 salariés qui ont utilisé ce dispositif sur les dix dernières années, ça permet le rebond, de passer à autre chose, du connu à l’inconnu, l’inconnu c’est le travail indépendant, on est salarié on a été salarié pendant 30 40 ans, qu’est ce qu’on a comme solution pour rebondir quand on a 50 55 60 ans, c’est une partie non négligeable des utilisateurs de ce dispositif, donc il y a un potentiel et je pense qu’on va le voir avec nos différents intervenants et ce potentiel n’est pas inépuisable mais on est comme Patricia le disait, à 70% du marché, on peut faire mieux

 

  • Sébastien Barreau, Guillaume a donné des chiffres sur les salariés portés et nous a permis de dimensionner, vous, quand on vous parle d’évolution du portage salarial ce que vous notez aussi c’est un cadre qui a été créé au fur et à mesure..?

 

  • Oui, je suis arrivé dans le portage, c’était le far west, il y avait peu de sociétés, quand je suis arrivé il y en avait 10, 15, qui sont toutes devenues les grosses majeures actuelles et il y avait pas de cadre législatif, aucune loi, on partait d’un constat, des seniors qui utilisaient la technique de portage salarial, c’est vrai que le terme est pas le plus joli, d’ailleurs dans l’histoire il y a eu des tentatives de changement de nom, hébergement salarial, indépendant salarié, e salarié, mais finalement le portage c’est moche mais ça se supporte, c’est pas le plus heureux mais je suis pas sûr que le portage soit bon en marketing, il a fallu construire tout ça.Sur un rappel historique, à la CFDT depuis 2000 nous avons un groupe composé de salariés portés, de salariés internes de boites de portage et on travaille quotidiennement, on se voit au minimum une fois par mois et ce depuis 20 ans, et on a vu évoluer tout ça, il y a eu dans les premières années, 11 ou 15 accords d’entreprise, ensuite on a tenté d’aller sur des accords de branches, des accords de branche qui ont été signés puis rejeté du côté patronal, ce sont des vicissitudes assez complexes parce qu’il a fallu que les syndicats comprennent ce que c’était parce que autant nous on était ce groupe de travail constitué de personnes qui travaillaient dedans, mais même en interne il a fallu faire comprendre à notre fédération qui on était, ce qu’on représentait et ce qu’il y avait, ce groupe de travail s’appelle professionnels autonomes.Ensuite il a fallu aller voir nos camarades d’autres syndicats, certains qui étaient extrêmement réfractaires, les gauche-gauche, et ça a été un peu compliqué de leur faire comprendre parce qu’on était dans un système de para-subordination, de termes qui apparaissaient, et je pense qu’il y a eu des problèmes de marketing et de communication de la part des sociétés de portage, c’est pour ça qu’il faut faire attention aux termes indépendant, salarié, parce que c’est ce qui a joué des tours au portage, notamment sur quand certains salariés portés voulaient ouvrir des droits au chômage à la fin d’une mission, quand ils allaient voir les Assedic, ils allaient voir en disant, moi je suis indépendant mais je suis salarié. Le problème c’est que dans la loi, en France, on est soit l’un soit l’autre, et tout simplement la personne n’était pas bien perçue par la personne qu’on a en face qui répond « ah vous êtes indépendant alors, donc pas de droit ».

    Ce qui a vraiment fait bouger les choses c’est cette non prise en compte des droits au chômage de salariés. Pour moi ils sont salariés et c’est le but du jeu, d’offrir la protection sociale et salariale à une personne qui souhaite développer une activité de manière autonome sans avoir tout de suite à créer son entreprise, il peut le faire 2 ans après mais peut être qu’ils vont pas le faire, ça va être quelqu’un en pré retraite.
    On parle donc de salariat, c’est vrai que salarié porté c’est pas très joli, c’est vrai que souvent je parle de consultants et je parle jamais de portés, mais c’est ça l’idée, on a construit au fur et à mesure. Effectivement il y a eu et ça a été rappelé une convention collective, enfin d’abord c’est rentré dans les lois, ensuite une branche s’est créée, ensuite une négociation de branche s’est ouverte avec les partenaires sociaux, et une convention collective qui est née l’année dernière, il y a encore beaucoup de choses à négocier, on y travaille au quotidien, ça peut être le sujet de la fin du contrat de travail en CDI, il faut qu’on arrive à le transcrire, c’est un grand écart juridique de faire rentrer quelque chose de rond dans un carré, ça rentre pas, il faut que chacun fasse un effort et le droit positif est pas forcément facile en France et le dialogue social permet de faire ça.

    Il faut pas avoir peur, vous les patrons d’entreprises de portage salarial, d’avoir des représentants syndicaux, vous allez pouvoir faire avancer les choses avec eux, pas contre eux. Je parle pas d’avoir des représentants jaunes affiliés au patronat, il faut avoir des gens qui sont des vrais interlocuteurs.

 

  • On va y revenir, je vous remercie pour cet historique, Emmanuelle Barbara, quel regard vous portez sur ce contrat de travail qui est particulier ?

 

  • Si vous me permettez quelques réflexions iconoclastes, je parlais de l’élasticité du concept, vous l’avez dit, la finalité, l’argument téléologique c’est consentir au titulaire du contrat qu’il est protégé comme son camarade titulaire d’un CDI ou CDD normal.C’est le mot contrat de travail mais ce sont surtout les protections qui s’y rapportent, c’est vital puisque dans notre esprit collectif, nous avons bâti un mécanisme où l’hégémonie du contrat de travail a été centrale au sortir de la seconde guerre mondiale et le vecteur de cette modalité de travailler, adossée à une protection donc le symbole est le bulletin de paye, qui ouvre les portes au kit de protections sociales mais au logement, bref, c’est un passeport pour la vie un CDI, c’est comme ça qu’on a bâti le système, adossé à une petite donnée qui a un peu disparu, la stabilité, d’où la remise en cause de l’idée que le CDI long terme est un concept probablement qui a du plomb dans l’aile. Ce qui est important c’est le mot et les protections qui s’y rapportent, de ce point de vue-là l’objectif a été rempli.Maintenant si on regarde le vrai contrat de travail, et les questions relatives au dialogue social, on est quand même dans un univers spécial, pardon mais la raison pour laquelle je me suis intéressée à tout ça c’est que j’ai été pendant dix ans dans la télé-réalité, savoir si les participants étaient salariés ou pas, je vous jure que ça m’a marquée. 10 ans de procédure, 10 ans sur qu’est ce que travailler veut dire, le tout autour d’une figure de style vitale pour l’économie du pays de savoir si les participants à qui on demande si il aime ou pas Thérèse ou Robert caractérise un contrat de travail c’est à dire un lien de subordination.

    Je me suis spécialisée sur le fait sur ce que lien de subordination veut dire. Quand je regarde le portage, vous disiez ce sont des vrais salariés, le lien de subordination, vraiment ? Entre la société de portage dont vous êtes le patron et moi qui suis un coup DRH le matin à droite et l’après-midi à gauche, lien de subordination, de quoi, de qui ? Alors qu’avec une pince à épiler, je fais un parallèle un peu brutal, on va regarder si la relation entre un auto-entrepreneur Uber si ils sont dans un lien de subordination avec la plateforme, si on va par là, j’aurais tendance à déqualifier vos salariés à raison d’un lien de subordination dont je me demande quelle est sa teneur, sinon que ceci est un contrat de travail, c’est la loi qui l’a dit et par conséquent ça s’applique.

    Et de fait, il est très intéressant de regarder la convention collective avec l’oeil aguerri de celui qui se dit « mais de quoi parle-t-on? ». C’est très intéressant de voir les sujets sur lesquels c’est jouable, de concevoir une convention collective, et ceux sur lesquels on est un peu coincés, parce que la disparité de ce que font les uns les autres, il y a en revanche une animation fondamentale autour du pivot du XXIème siècle qui est l’acquisition de formation. Et là vous êtes dans un secteur emblématique de ce qu’on réussira ou pas à intégrer dans notre logiciel global de salariés ou travailleurs en France, de ce que la formation est vitale et je pense que vous en êtes une illustration pertinente.

    Je reviens au lien de subordination, vous observerez que votre dispositif (et je suis contente, vous êtes en train d’arriver à une telle maturité que je vais finir par avoir du boulot), tel qu’il a été conçu, je trouve génialement, comme un Objet Juridique Non Identifié, a les pieds dans deux époques : le pied dans le contrat de travail parce que c’est le synonyme de protection, c’est comme ça qu’on a bâti le système, et l’autre pied c’est l’encouragement à l’entrepreneuriat, à ce phénomène sociologique auquel on assiste depuis quelques années, cette envie d’avoir la maitrise de sa propre vie, attisée par des éléments propres à nos modes de vie, qui a rendu un tête-à-tête avec son destin beaucoup plus aisé qu’au XXème siècle.
    C’est intéressant de voir comme le portage salarial caractérise comme un concept juridico-technique qui a les deux pieds dans les deux univers que sont le monde du salariat et le monde de l’entrepreneuriat, c’est en cela que c’est intéressant et pertinent, surtout dans une période comme la nôtre.

    On n’a plus le mantra, « j’ai un CDI jusqu’à la retraite avec la médaille du travail », on n’a pas le mantra de l’avenir, on va bondir de job en job, on est entre les deux et le portage salarial fait il me semble un ciment entre les deux.

 

  • Merci beaucoup, Olivier Babot pour vous le portage est amené certainement à se développer. C’est une réponse à ces nouvelles postures vis-à-vis du travail que vous observez ?

 

  • Oui j’ai l’impression et on est là pour être iconoclastes, j’aimerais défendre le mot « portage ».La porte, que vous ouvrez, porter, ça a la même origine latine, quand Romius fait son sillon pour délimiter Rome, quand vous créez une ville à un moment donné vous portez le soc pour laisser un endroit qui sera la porte, vous l’appelez porte parce que c’est l’endroit où vous avez porté le soc. Bref, le fait de porter c’est aussi ce qui donne accès, c’est peut être un truc d’universitaire mais c’est vrai, on parlait de rebond, de passage, c’est un sas en effet, et je crois, époqua, c’est une parenthèse en grec, une époque c’est un truc qui va se finir, et je crois qu’on est à la fin d’une époque en termes de travail, on n’est pas tout à fait sûrs de ce qu’il va se passer, mais les changements sont vertigineux, et il commence à se dégager, Montaigne disait « éduquer c’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu », je crois que aujourd’hui tous les éducateurs doivent comprendre, on ne doit pas dire « c’est bon tu as coché toutes les cases tu peux arrêter d’apprendre et regarder TF1 pour le reste de ta vie », évidemment toutes ces choses-là vont changer très profondément, je crois qu’on est tous étudiants toute notre vie, on n’a plus le choix, l’obsolescence des compétences, jusque là c’était tous les trois ans et maintenant ça va être quasiment de mois en mois.La question qui se pose est de passer d’un système qui était fait pour une protection des emplois qui protègera les employés, qui va lui permettre de porter ses droits, notamment à la formation, un système aussi où on doit avoir, et c’est l’avantage du portage salarial, finalement le portage salarial c’est comme le Kway, c’est moche mais c’est pratique, ou les gilets jaunes de Karl Lagerfeld, il nous faut avoir l’avantage du salariat et les avantages de l’indépendance, parce que cette recherche de l’indépendance elle va de pair avec une économie de missions et une volonté pour les gens de faire beaucoup plus de choses.

    Tout à l’heure en cours de stratégie en MBA j’expliquais qu’un salarié est quelqu’un face à une entreprise en situation de monopsone, il y a un seul client, et quand vous avez un seul client, vous dépendez de lui, pour le pire ou le meilleur. On dit toujours dans le conseil qu’il faut jamais avoir un client qui fait plus de 10% de son chiffre d’affaires, un salarié a 100%, ça ne m’a jamais paru quelque chose de très souhaitable. Vous avez une volonté de passer à un monde où vous allez avoir cette mobilité.

    Après la vraie question, c’est est ce que cette nouvelle mobilité va être l’économie des winners, donc les gens sont demandés de partout ils ne veulent plus être salariés, moi des gens me disent « je veux bien faire des missions pour vous je veux pas être votre salarié », parce que déjà ils perdent de la valeur si ils ne travaillent pas pour beaucoup de gens. Donc ça c’est des gens qui sont en plein dans la mondialisation, et vous avez l’économie des gens pour qui c’est plus compliqué, la gig economy, pour qui c’est l’enchainement des petits jobs, des gens qui aimeraient bien être des insiders du système.
    Les autres n’ont pas envie de rentrer dans le système parce qu’ils n’y voient aucun avantage, et il y a des gens qui aimeraient y rentrer mais ne peuvent pas.
    Et ça, tout l’enjeu c’est que ces formes de flexibilité nouvelles ne soient pas juste des façons de dire « le système tu n’y rentreras jamais », je crois qu’il faut qu’on soit conscient de cet enjeu, c’est un tremplin et ça peut être aussi un plafond de verre.

 

  • La dimension que vous mentionniez, celle du choix, cette volonté de rester indépendant, quelques chiffres pour compléter ce que Patricia Guignard disait tout à l’heure, de l’IFOP, un actif sur 2 serait prêt à devenir indépendant à certaines conditions, des conseils et un accompagnement, une simplification des démarches administratives, un droit à l’assurance chômage, donc là on est dans cet entre-deux, qu’est ce que ça dit Guillaume Cairout du potentiel du portage salarial ?

 

  • C’est intéressant de regarder les différentes études faites les trois dernières années, la FEPS avait commandité une étude en 2016 qui portait sur la population active et on avait des chiffres qui oscillaient entre 25 et 50% de la population active favorable à ce dispositif, donc entre 7 et 15 millions de Français intéressés par ce dispositif.
    On a eu une deuxième étude Ipsos réalisée un an plus tard, qui portait davantage sur les français et non plus sur les actifs et on est arrivés à 50% de la population française, et plus de la population active, on avait multiplié par un peu plus de deux le nombre de français favorables à ce dispositif

 

  • Vous parlez du portage salarial ?

 

  • Oui du portage salarial, à condition effectivement, l’idée c’était « exerceriez-vous une activité indépendante si vous bénéficiiez d’un accompagnement et de la protection du salariat? » et tu as parlé du chiffre, la dernière étude de Ipsos, rendue la semaine dernière, qui porte sur un échantillon représentatif de 2500 personnes c’est entre 85 et 87% des français qui sont favorables, soit quasiment 9 français sur 10, dans la situation que connait le pays aujourd’hui, c’est une enquête qui a été faite la semaine dernière.
    Donc c’est pour moi un choc, dans cette période de crise qu’on traverse et j’aurais envie de dire c’est pas qu’une crise du travail, on se pose les questions sur le travail ici, mais on est en train de vivre une crise de la société, et le travail est l’une des premières préoccupations des français.

 

  • Entre vouloir être indépendant et vouloir être indépendant avec des garanties, il y a plusieurs étapes.
    Du coup, dans ce contexte-là, comment le portage salarial se positionne, on va revenir juste après sur ce que les français en savent aussi, mais comment est-ce que vous, vous pouvez vous positionner pour répondre à cette demande ?

 

  • Vous parlez en tant qu’entreprise de portage salarial, mais avant de répondre à cette question, ce qui est intéressant c’est comment on est passés de cette civilisation de l’usine et de cette production de masse, à cette civilisation dont mon voisin a parlé, la civilisation du savoir ?En fait les bouleversements sur le marché du travail sont de mon point de vue l’aboutissement de l’accès à cette civilisation du savoir et non plus de cette production de masse mais de cette personnalisation de masse.En terme de perspectives, que ce soit pour le portage salarial, pour ces nouvelles formes de travail ou pour tous les talents qui veulent tirer parti de cette transformation et pas subir cette transformation, c’est un champ des possibles très important et si on regarde les secteurs d’activité dans lesquels on a une explosion de la demande, premier secteur le conseil, deuxième l’informatique, troisième les professions artistiques, et les professions liées à l’enseignement et les services aux particuliers.
    Ça permet de couvrir un champ assez large, qui sont autant de perspectives à partir du moment où, pour rebondir sur les chiffres, 90 000 personnes, quand on connait le nombre de demandeurs d’emploi, le faible taux de travailleurs indépendants en France, on a quand même 85% des actifs qui sont sous contrat de travail et 85% d’entre eux sont en CDI et comme dirait Emmanuelle Barbara en contrat à durée éternelle, eux ils sont pas concernés par les transformations parce qu’ils ont un CDI.

    Donc un sujet qui me semble important, on n’est pas tout seul, dans la salle il me semble qu’il y a un représentant de la plateforme Malt, donc on n’est pas tous seuls, on est tous ubérisables, le portage salarial si on décide de brainstormer, c’est aussi pour savoir où on va, c’est aussi l’idée de dire, tout ça n’est pas éternel, réfléchissons à comment permettre aux français, vous êtes quand même au courant que en France on a 4.5 millions de pluri-actifs qui exercent plusieurs activités, ont plusieurs statuts, et on a tout un tas d’activités un peu plus atypiques, on a même du travail gratuit qui se développe, un travail de plus en plus protéiforme, et pour moi un sujet, c’est l’employabilité, ce qui me semble l’un des leviers principaux, notamment grâce au dialogue social, de travailler à l’employabilité non pas que des portés mais de tous ces actifs qui aujourd’hui vont être rattrapés par le futur du travail

 

  • Sébastien, comment on fait mieux connaitre, même si un nombre croissant de français connait ce système du portage salarial, comment on le fait mieux connaitre encore, comment aussi dans la perspective d’un portage salarial ouvert au plus grand nombre, comment on le fait mieux connaitre, comment les entreprises de portage salarial doivent proposer, on a évoqué la question de la formation, proposer des services, un accompagnement qui soit peut être renforcé ?

 

  • Je vais faire attention à ne pas précariser le système, l’uberisation on sait ce que ça donne, pour moi il est vraiment essentiel de dire, que le salarié porté, l’expert on va dire, doit choisir son statut, il faut pas que ce soit contraint, il faut pas que ce soit une boite qui impose à une personne, « de toutes façons je t’embauche pas par contre je vais te passer en portage parce que ça m’arrange », on l’a déjà vu, des re-qualifications tout le temps d’ailleurs, des grosses structures de formation professionnelle ont passé tous leurs formateurs en auto-entrepreneur et il y a eu re-qualification, on n’a pas envie d’aller là dedans.Important aussi, avant d’élargir, pour construire un immeuble ou une maison, il faut des bonnes fondations, les bonnes fondations c’est ce qu’on est en train de construire, la loi a été une première étape, on a comblé le trou, on a mis une convention collective pour mettre un peu de ciment aussi, il y a plein de choses à finir mais on ne pourra pas faire un immeuble de 10 étages si les fondations sont pas stables, la stabilité c’est essentiel, c’est le respect de la convention collective actuelle, c’est important, sans respect on peut pas nous, en tant que partenaires sociaux, faire confiance aux personnes qui le respectent pas en face, si on tient pas ses promesses il y a pas de confiance, la base de la confiance c’est de tenir ses promesses.Après, une fois qu’on est bien en place, volontiers de discuter, de voir sous quelle forme, et là ça sera beaucoup plus simple de faire connaitre, parce que pour l’instant l’activité de portage salarial ne reste que de l’artisanat, dans le bon sens du terme j’espère, ils font du bon boulot mais ce que je veux dire c’est qu’il faut de l’accompagnement, de la formation professionnelle continue pour moi c’est obligatoire, c’est un sujet sur lequel nous nous battons et je pense que les patrons de l’auto-portage l’ont bien compris parce que le développement personnel et des compétences permet de mieux se proposer sur le marché de la mission.
    J’ai souvent tendance à dire que le salarié porté c’est un technico-commercial, il possède son savoir-faire, par contre il faut qu’il ait cet aspect commercial, c’est pas donné à tout le monde, il faut pas faire croire à tout le monde que c’est facile d’aller se vendre, se proposer. Il peut y avoir de l’échec, c’est bien qu’il y ait le chômage c’est une grande avancée et ça passe aujourd’hui que par le contrat de travail, c’était la seule porte d’entrée qu’on pouvait avoir pour faire connaitre et apporter cette protection sociale, je ne pense pas que dans l’année les organisations syndicales soient ouvertes à faire sauter le contrat de travail et surtout on n’est pas là pour tuer les autres systèmes comme l’emploi basique, le CDI classique, l’intérim, il faut pas que ce soit un effet d’appel pour tuer d’autres méthodes qui existent, qui perdurent pour l’instant et 85% de personnes sont dedans, donc on n’est pas là pour tuer le système, évoluer pourquoi pas mais, en se basant sur ce qui existe, on est ouverts au dialogue mais il faut respecter ce qui est déjà en place.

    C’est comme dans tout, on teste, quand un gamin apprend à marcher il se casse un peu la gueule au début, et il marche à 4 pattes, il tombe il se relève et à un moment donné il a compris, donc on est en équilibre précaire, mais on y arrive et on avance.

 

  • Pour ouvrir au plus grand nombre, il faut aussi modifier un certain nombre de points, la question du seuil de la rémunération, le fait que certaines activités restent exclues, Emmanuelle Barbara c’est quelque chose qui est limitatif, Sébastien parlait du fait qu’on avance pas à pas et qu’il faut que les choses soient consolidées avant d’avancer, cette forme de protection pour l’instant il faut encore roder le système ?

 

  • Je vais vous répondre en passant par l’image suivante, on a beaucoup parlé jusqu’à présent de deux acteurs : la société de portage et le porté.
    Mais le client ? Il faut qu’on parle du client, le développement, faire connaitre, ça veut dire que le client donne des contrats. Et le client, il ubérise son business, je vais prendre la figure du DRH, si il y a bien un job qui ressemble à un contrat de travail dans une entreprise normale c’est bien le DRH, c’est rarement externalisable comme boulot, on peut pas considérer que le DRH n’est pas en soi une activité qui ne rentre pas dans le corps de business et pourtant on voit, et notamment pour des besoins partagés, ou temporaires, consentir, dans le dispositif du portage, des missions à ce titre.
    C’est intéressant quand même de regarder, la typologie des missions, ce que je veux dire, lorsqu’on parlait du conseil, qui est le générique numéro 1, ça veut dire je demande à quelqu’un de réfléchir à quelque chose dans un domaine particulier pour faire un rapport, tout le monde voit à peu près.
    En revanche quand on touche à un organe, à une courroie sur le fonctionnement de l’entreprise: ressources humaines, finances, informatique, et bien là on touche à plus central de l’entreprise, à son intimité plus proche, puisqu’il s’agit de participer au fonctionnement de l’entreprise ou de lui donner, grâce au conseil, ce qu’il lui faut pour faire face, passer le pont, mais pour le coup l’individu s’inscrit dans l’activité normale de l’entreprise.
    C’est intéressant de voir que, dans ce que j’ai regardé rapidement sur ce sujet-là, les questions de savoir si l’entreprise est légitime à conclure un contrat commercial avec une société de portage sur un thème qui touche à l’organisation de l’entreprise n’est pas problématique, vous avez toute la législation sur le marchandage, le prêt de main d’oeuvre, les vilénies qu’on assigne volontiers à de la fausse sous-traitance, mais sur le portage on ne se l’est jamais posée. La loi dit contrat commercial.Ce que je veux dire, c’est non pas un angle mort, mais dans le fond une sorte de concession que la loi fait avec le package du contrat de travail bizarre, qui est à l’initiative du salarié porté, alors que d’habitude le contrat de travail, c’est l’entreprise qui dit « tiens, j’embaucherais bien quelqu’un », là c’est la personne qui vient.
    C’est intéressant de voir qu’on est dans des figures de style qui sont aménagées, je comprends votre point de dire avant de construire, voyons ce qui existe déjà et cahin-caha comment ça tourne.
    Je me plaçais simplement de l’autre côté du système pour attirer votre attention sur le fait que c’est bien, c’est intéressant, du côté de l’entreprise cliente, la loi dit d’une entreprise, une personne morale qui achète des services, elle a une sorte de possibilité sans restriction particulière de conclure un contrat, et je pense que cette concession est faite parce que le salarié est un salarié, on est dans un salarié qui a les avantages et protections propres au salarié.Evidemment il y a un tarif minimum, il y a plusieurs niveaux qui rappellent autour de 70% du SMIC mensuel, autant dire qu’on tape dans des jobs, en gros 2600 euros, donc la question, si on descend le plafond, on va avoir plus de gens.
    Si ce plafond a été mis assez haut, c’est précisément pour pas le mettre bas ? Pourquoi j’aurais cette intention de pas le mettre si bas ? J’aimerais bien qu’on n’ait pas une transformation générale, d’un expédiant consistant à faire porter, le risque managérial et tout ce qui va avec, sur vos aimables entreprises plutôt que dans mon entreprise à moi, cliente.
    On voit bien que ça a été fait en sorte pour tester l’opération, au départ les seniors en reconversion, et dans l’économie du savoir, donc le top.
    Vouloir descendre le plafond ça veut dire qu’on aurait vérifié que c’est jouable, c’est légitime de l’ouvrir, j’entendais avec beaucoup d’intérêt que les non-cadres sont intégrés à la convention, donc ça veut dire qu’il y a une forme de démocratisation potentielle de la chose, qui permettrait d’ouvrir plus largement le dispositif et on peut penser que c’est peut être un bon plan, peut être pas en l’état, mais à l’aune de ce qui se profile comme nouvelle forme d’emploi, je me fonde sur un rapport de l’IDAS qui parle de l’économie de plateforme et qui disait, au titre de ses préconisations, dans le fond il faudrait peut-être aussi pouvoir imaginer le statut du portage salarial voire le statut de l’entrepreneur salarié associé, ouvrir le dispositif, en l’état actuel du droit évidemment ça ne marche pas.
    On voit bien qu’à l’occasion de ces évolutions technico-écologiques il pourrait y avoir un impact sur le dispositif qui a été bâti il y a très longtemps, pour répondre à un objectif qui était celui du cadre sup qui se bricole des activités, et ce serait une forme de prolongement, de nouvelles activités ouvertes à votre secteur, répondant ainsi à d’autres objectifs que ceux qui ont présidé.

 

  • Merci Barbara, juste avant de passer aux questions de la salle, dernière question à vous, Olivier Babaut, la question de l’ouvrir à un plus grand nombre de salariés portés, ça veut aussi dire, plus d’entreprises de portage salarial et on a vu que ce chiffre croit de manière importante, quelle valeur ajoutée du coup pour les entreprises de portage salarial sur la gestion de carrière, les aide juridiques et est ce que le salarié qui va avoir envie d’être porté, va aussi regarder du côté de l’entreprise de portage en se disant « attention c’est pas juste une entreprise de portage salarial, j’ai aussi envie d’être intégré dans une vie d’entreprise un peu différente de celle du salarié, mais avec quelques aides, quelques accompagnements et garanties » ?

 

  • Oui quelques réflexions sur ce sujet : l’indépendance a ça de commun avec la province, on dirait que c’est le rêve caché de beaucoup de gens, quand vous regardez les statistiques, beaucoup de gens rêvent de partir de Paris si ils le pouvaient, beaucoup de gens rêvent d’être indépendants, si ils le pouvaient, je crois que cette aspiration est pas totalement fausse.
    Il y a une aspiration à la liberté et pour les entreprises je crois qu’il y a un besoin de liberté, on a parlé tout à l’heure de la question de la formation, je crois que la question qui va se poser de plus en plus c’est la question des rapports de travail, c’est à dire de ce qu’on vit au travail, comment on vit, et du management.Le management taylorien c’était simple, une économie avant tout industrielle, l’idée était de vérifier ce que faisaient les gens, vous pouviez compter le nombre de boulons serrés. On est entrés dans la capitalisme cognitif, c’est à dire un capitalisme où la plupart des emplois, ceux qui ne pourront pas être automatisés, vont être des emplois de création, de synthèse, de mise en relation, au sens étymologique, ce savoir transversal, très difficile à observer, une productivité difficile à déterminer, c’est pour ça que je viens d’écrire un papier sur l’absurdité du temps de travail, pour la fin du temps de travail, c’est une connerie le temps de travail, sauf le gardiennage il n’y a aucun travail qui correspond à un temps, en réalité vous pouvez réaliser pendant 10 ans devant votre bureau ou être hyper efficace en dix minutes, l’important c’est ce que vous allez faire.Aujourd’hui l’entreprise a besoin de la liberté du salarié, de la personne qu’il emploie, parce qu’elle est la condition même de sa motivation et de ce qu’il va produire réellement.
    La question c’est comment on l’organise : on a fait des études sur l’absentéisme au travail, c’est un symptôme d’un terrible malaise au travail, et pour moi l’indépendance est déjà une forme de réponse à ce malaise, il apporte la capacité, cette liberté.
    C’est Platon qui disait « le salarié est la chose d’un autre », c’est un esclave, l’idéal pour un grec c’est de ne rien faire, le loisir studieux, vous pouviez vous occuper des problèmes de la cité. Platon explique que si vous avez un employeur, vous n’êtes pas votre propre maitre, il aurait été très inquiet de voir notre civilisation, et la question qui se posera de plus en plus pour les entreprises de portage c’est un peu comme les syndicats : quelle sera la valeur ajoutée ?

    Si les syndicats sont en crise, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays en Europe, c’est qu’on a eu des formes syndicales qui ont pris la forme de combats, qui n’ont pas été nécessairement perçus comme constructifs ou très utiles pour certains, et peut être que demain, il faudra être en capacité d’apporter un service, une valeur ajoutée, ça peut pas être uniquement la simplification administrative même si c’est très important, mais il y aura la question à terme pour éviter l’ubérisation de la valeur ajoutée réelle qui sera apportée, parce que dans l’économie est en train de naitre, tous les gens qui étaient dans les interstices de relation, finissent par se faire virer, regardez les auto-écoles.

 

  • Merci beaucoup, on a dit que tout ce qui était dit ici restait ici, allez-y participez

 

  • Je m’appelle David, j’ai quitté Paris pour être en province pour être indépendant, je suis éloigné des centres de décision, donc je vous remercie de travailler pour nous pour défendre notre statut, je fais du portage depuis quelques années, on est là pour être un peu poil à gratter je crois, et il y a une remarque qui m’a donné un peu d’urticaire, parce que j’en vois pas l’utilité et je pense que ça peut être dangereux, c’est quand on parle de l’obsolescence du savoir qui passe à un mois; donc j’ai rendu une mission à un client il y a six mois, j’aurais dû être viré il y a trois mois parce que quelque part mon savoir est obsolescent, c’est nier l’apport de l’expérience, de la formation, ce sont de belles formules pour des diners mondains et pour les médias mais c’est pas très utile pour nous, on est souvent dans le portage, on a une certaine expérience ou un certain âge, mais ça apporte quand même quelque chose, moi je travaille beaucoup avec des entreprises jeunes, je fais du coaching de startups, l’obsolescence en trois mois de mon savoir, j’aimerais comprendre mieux cette obsolescence du savoir en un mois, parce que heureusement que je ne subis pas ça, autrement j’aurais plus de boulot

 

  • J’ai l’impression que c’est à moi que ça s’adresse.
    Je crois qu’on est d’accord en fait, j’étais pas affirmatif, la réalité c’est que quand vous travaillez vous acquérez de l’expérience, mais je vais vous raconter une histoire pour dire que c’est quand même réel, j’étais étudiant jeune et fou, j’avais fait un stade au commissariat général aux plans, au service de modernisation de l’Etat et je me souviendrai toute ma vie de cette réunion, où la secrétaire a expliqué que l’informatique elle ne s’y faisait pas, donc l’utilisation de traitement de texte c’était pas possible, elle a l’avantage elle était fonctionnaire donc elle a continué jusqu’à la fin et peut être encore d’ailleurs, elle doit taper en trois exemplaires avec du carbone, la réalité de l’évolution, disons de ce qu’il faut savoir pour comprendre, on le voit tous les jours quand on a des jeunes qui nous parlent de trucs qu’on ne comprend absolument pas, c’est pas des trucs pas importants, c’est sur la façon dont l’informaient circule sur internet, ça va extrêmement vite, si on ne se tient pas au courant aujourd’hui de l’évolution des algorithmes, de la façon dont la surveillance peut se passer, il y a quand même, j’ai aucun plaisir à être relativement anxiogène, j’aimerais de la sécurité et un monde calme, mais c’est pas le cas, on est sur une exponentielle et les choses vont de plus en plus vite, ce que je voulais dire c’est qu’il faut qu’on soit conscients tous de la nécessité de se lever tous les jours en se disant « qu’est ce que je vais apprendre aujourd’hui ? », vraiment certaines personnes ont la chance d’apprendre dans leur travail, c’est pas le cas de tous les empois, il y a des emplois où on n’apprend pas grand chose et justement je crois que c’était Bruno le Maire qui dit « on va se battre pour vos emplois! » c’est criminel ! On a déjà remplacé les caisses robots, maintenant on a déjà viré les caisses robots, amazon a créé des magasins il y a même plus de robots, vous sortez vous êtes débités, donc il faut qu’on soit au courant des trucs, on forme des radiologues aujourd’hui, les IA arrivent à lire beaucoup mieux que les radiologues et comprendre où sont les cancers, il y a un moment donné, il faut le dire, pareil pour les comptables, et les grands groupes vous expliquent que c’est fini aujourd’hui ! Autrefois, computer c’était le nom du gars qui faisait les additions.Donc je crois que c’est pas complètement stupide ce que j’ai dit, je crois qu’on est d’accord.

 

  • merci pour cette précision, vous aviez une question monsieur ? Un témoignage pardon

 

  • Bonjour, Dominique, je viens des grands comptes industriels, vous avez parlé, je crois que c’est monsieur Cairout, du fait que nous étions dans l’ère de la mass production et que nous étions rentrés dans l’ère du savoir et je voulais dire, je crois que le changement est ailleurs, on est rentrés dans le monde de l’usage, à savoir être au plus près des clients utilisateurs des services qui sont produits, pour lui permettre d’obtenir l’excellence.
    Je crois que le savoir, c’est depuis la nuit des temps, on parlait de Platon, de Socrate, merci pour ça, mais le véritable changement de paradigme c’est le fait qu’on soit entrés dans l’usage, c’est ça en fait et concernant le taylorisme, il n’a pas disparu, on demande simplement au salarié de le job lui-même, et c’est ça la nouveauté

 

  • C’était surtout en écho à la construction de ce schéma qu’est le portage salarial, avec cette construction autour d’un contrat de travail, juste pour dire qu’en 50 ans, peu de choses ont bougé sur le marché du travail, si ce n’est qu’on a traversé plusieurs révolutions industrielles et ce contrat de travail auquel on tient tant, n’oublions pas qu’il a été construit dans cette civilisation à de l’usine Fordo-Keynesienne pour servir et produire cette consommation de masse, et c’était en écho aux métiers développés à travers le portage salarial, dans cette économie du savoir, et je parlais de la personnalisation, de la production de masse à la personnalisation de masse, qui revient à ce que vous dites, que chacun veut faire des produits ou des services dont il a besoin, donc on est tout à fait d’accord

 

  • Merci on va écouter votre témoignage monsieur

 

  • Bonjour, Christophe je suis président d’une agence qui s’appelle win-win, on est 40 collaborateurs, on fait 15 millions d’euros de chiffre d’affaires, on est à la fois dans le secteur du conseil, de l’informatique et artistique, on coche toutes les cases.Pour vous raconter l’histoire, en 2013, on est 60, on fait 10 millions d’euros de chiffre d’affaires et on décide de changer le modèle suite à un certain nombre d’interviews auprès de nos collaborateurs dont certains ne veulent plus du CDI mais veulent avoir une liberté de pouvoir mener plusieurs missions, se barrer à l’autre bout du monde pendant trois mois et revenir. De là, on a changé notre modèle économique, on a transformé nos lieux en lieux de vie et aujourd’hui on est 40 salariés CDI mais l’équivalent de 100 temps plein, et on vient de passer 16 millions d’euros de chiffre d’affaires, le portage ça représente environ 1/3 des équivalents temps plein, il y a de la micro-entreprise, de l’auto-entrepreneur, maintenant le portage salarial il a une vraie valeur pour nous, il sécurise à nos yeux la protection sociale de ces experts auxquels on fait appel pour des missions, et surtout il nous permet de gérer des pics d’activité, nous on est dans le marketing expérienciel et il peut y avoir des semestres où on a deux fois plus de mission, on monte des équipes, là on vient de monter un road-show pour la French Fab, donc l’industrie, on l’a monté en trois semaines et on a 40 personnes sur la route, il n’y a pas un salarié de chez nous, en revanche ce sont nos salariés qui ont conçu, et l’équipe qui est sur la route est composée entre autres d’experts, de conseil, de consultants, de régisseurs en portage salarial

Comments are closed