Deuxième table ronde

On va donc passer à la seconde table ronde, je vais inviter les intervenants à me rejoindre, pour rappel on va aborder des sujets un peu plus techniques de transparence, de normalisation, de cadre législatif et du dialogue social, j’invite à me rejoindre Yves Besset, représentant du groupe AVS, Nicolas Birouste, responsable du département services management et consommation à l’AFNOR, Eric Courpotin membre du bureau fédéral de la CFTC, Matthieu Guillemin, secrétaire général de la FEPS et Jean-Yves Carbourt, professeur des universités à l’UFR de Droit et Sciences Politiques à l’Université de Nantes, bienvenue à vous tous, on est dans une continuité d’échange mais simplement je pense que c’est bien que chacun rappelle pourquoi il est là et quel est son lien avec le portage salarial, Eric on va commencer avec vous, je précise que vous n’êtes pas salarié porté, dites nous simplement en tant que membre de la CFTC depuis quand et de quelle manière vous intervenez dans les débats autour du portage salarial

 

–           Moi je ne suis pas un salarié porté, je suis une sorte d’OVNI, ça fait très peu de temps que j’ai découvert le portage salarial et de là où je viens, je suis manager en caisses d’allocation familiales donc vraiment rien à voir, mais mes activités syndicales, j’ai en charge les dossiers de l’emploi et du chômage et donc tout naturellement quand il s’est posé la question de savoir qui devait aller négocier cette nouvelle convention collective puisque le portage salarial existe depuis très longtemps mais il n’y avait encore aucune branche définie, et il fallait négocier, et c’est comme ça que j’ai découvert le portage salarial, et quand je suis rentré dedans, je me suis dit, pourquoi on n’en parle pas plus que ça, comment se fait-il que ce soit autant méconnu, c’est vraiment quelque chose, ça laisse des opportunités importantes je pense, autant à de futurs salariés qui voudraient devenir travailleurs indépendants mais même à des demandeurs d’emplois, étant aussi négociateur sur l’assurance chômage, je vois aussi des demandeurs d’emploi qui veulent créer leur entreprise, parce qu’ils n’ont pas la connaissance de cette forme de travail en tant que salarié porté.

 

–           Yves Besset, présentez nous votre groupe, le groupe AVS, je rappelle en introduction qu’il est spécialiste en portage des professions artisanales du bâtiment, racontez nous l’histoire de ce groupe.

 

–           Oui effectivement parmi tous nos collègues du portage salarial, le groupe AVS est une société complètement atypique, pourtant elle existe depuis 20 ans, en février 1999, depuis se sont réalisées 300 000 prestations, qui ont été effectuées par des intervenants portés, moi j’utilise le terme d’intervenant, tout ça en réalisant 300 millions d’euros de chiffre d’affaires, c’est quand même assez colossal et nous avons des portés qui sont fidèles à la société, nous avons encore des portés qui sont là depuis le début de la société.

Le groupe AVS est né avec à l’époque un Monsieur, Didier Mangelle, qui regardait la télévision un soir et qui a dit « punaise le portage salarial ! Si mon père avait connu ça, lui qui trimait à poser des robinets, si il avait connu le portage ça aurait été drôlement bien pour lui, il aurait pu se consacrer à son métier sans passer ses soirées sur des feuilles de papier à empiler des chiffres ».

Voilà en raccourci ce qu’est le groupe AVS.

 

–           Merci beaucoup, Jean-Yves Kerbourc’h, vous êtes également conseiller scientifique à France Stratégie, dites-nous le rôle de cet organisme et ensuite nous rappeler puisque France Stratégies a publié une note sur le rôle des tiers dans la relation de travail, que dit cette note du portage salarial ?

 

–           Bonjour, merci beaucoup de m’avoir invité, je travaille effectivement comme conseiller à France Stratégie, je suis professeur de droit à l’université de Nantes, et je me suis toujours intéressé au rôle que jouent les tiers dans les relations de travail, et notamment salariées.

 

Ces tiers se sont beaucoup développés depuis une trentaine d’années, et cette note dont vous parlez, qu’on a publiée l’année dernière et qui se trouve d’ailleurs en ligne sur le site de France stratégies, cette note a essayé de classer le rôle que jouent ces différents tiers, il y en a au moins une vingtaine qui sont codifiés dans le Code du Travail.

En résumé il y a trois types de tiers, il y a des tiers qui vont avoir pour rôle d’embaucher des salariés et de les mettre à disposition d’un utilisateur, l’intérim, la première forme de mise à disposition créée en 1972, il s’agit aussi des groupements d’employeurs et dans le secteur de l’insertion, les associations intermédiaires. Ce qui caractérise ce groupe, c’est la mise à disposition, c’est à dire je vends la main d’oeuvre dans une logique de flexibilité externe, quantitative, on a besoin d’une quantité de main d’oeuvre.

Et on a un deuxième groupe, il s’agit de rapprochement, on a des tiers, comme les courtiers, un courtier matrimonial rapproche deux personnes qui entreront peut être dans le mariage mais le courtier ne contracte pas, et ces tiers se sont beaucoup développés, ils sont pour certains anciens, les agents artistiques, de mannequins, sportifs, qui vont trouver un footballer pour mettre à la disposition d’un club et on a toutes ces plateformes qui font du courtage, c’est à dire qu’elles rapprochent sans entrer dans le contrat.

Et on a un troisième groupe, celui qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont des structures qui aident des travailleurs très autonomes à exercer leur métier. Evidemment le portage, mais aussi les coopératives d’activité et d’emploi, où on a un travailleur qui ne deviendra pas actionnaire de la société de portage, mais il va devenir coopérateur et cette coopérative va porter son activité. On retrouve aussi le CAPE, le contrat d’appui aux projets d’entreprise, c’est la loi Dutreil.

Voilà les trois grandes catégories d’intermédiaires sur le marché du travail.

 

–           Merci beaucoup, Nicolas Birouste, comment le sujet du portage salarial est arrivé à l’AFNOR?

 

–           Petit mot d’abord sur l’AFNOR, c’est une veille maison de 1926, notre coeur de métier c’est l’élaboration de référentiels qui vont servir de cadres de référence sur les marchés.

 

Les allemands ont une maxime relativement pragmatique, « celui qui fait la norme, qui écrit la norme, tient le marché », on est un peu sur ce registre-là, si bien que l’AFNOR est une structure qui élabore des référentiels à vocation stratégique pour cadrer les pratiques sur les marchés.

Nous travaillons de manière consensuelle au sein de commissions de normalisation. Dans le système français de la normalisation, il y en a à peu près 1000. Nous en hébergeons 600 sur l’ensemble des secteurs d’activités, et nous mettons en place une commission de normalisation dès lors que nous avons une sollicitation de la part des professionnels du secteur qui s’interrogent sur la manière de construire ensemble de façon consensuelle, positive, un cadre de bonnes pratiques sur le marché.

C’est ce qu’il s’est passé pour la team portage salarial puisque depuis 3,4 ans, nous avons rencontré les différentes organisations professionnelles du secteur qui s’interrogeaient, du point de vue de la maturité du déclenchement du processus de normalisation, sur quel est l’intérêt de construire un référentiel interne, d’ouvrir davantage, l’intérêt d’aller directement au niveau européen, on a aussi évoqué le sujet en fin de table ronde précédente.

On a choisi aujourd’hui de prendre un axe médian dans le panel des différents outils de la normalisation, ce qui compte et est important pour les professionnels et le développement de l’activité de portage salarial, c’est d’avoir cette ouverture d’un côté, pouvoir partager ensemble autour des bonnes pratiques, et d’expérimenter le cahier des charges, le document de référence qui aura été produit, c’est ce que nous nous apprêtons à faire, construire le cahier des charges, donc la norme expérimentale qui permettra aux professionnels du secteur, de manière volontaire, nous ne sommes pas du côté du droit dur, du droit positif, nous sommes dans le droit souple, mais qui forme un cadre de référence et c’est bien l’objet de la commission de normalisation que nous avons installée le 25 octobre dernier.

 

–           Merci beaucoup, je les ai un peu listés, il y a un certain nombre de sujets dont il faut que nous parlions maintenant, on va commencer par celui de la transparence qui reste l’objet de couverture médiatique, Matthieu Guillemin, ou Eric Courpotin, est ce que vous avez entendu, ou été saisi sur ce type de question, comment on réagit ?

–           La transparence ça permet déjà que tout le monde joue avec les mêmes règles.

On ne peut pas être dans un système permissif pour les uns et légaliste pour les autres. Il y a des règles, et tout le monde doit les respecter.

Dès l’instant qu’on a connaissance d’un détournement de ces lois, on se doit de tout mettre en oeuvre pour rétablir cet ordre, sinon ça devient un peu l’anarchie totale dans un secteur d’activité et on tombe dans une concurrence complètement déloyale.

Il y a eu quelques affaires médiatisées mais il faut pas non plus en faire tout un état, dans la mesure où aujourd’hui, dès que ça passe dans les médias ça prend une ampleur phénoménale et on s’imagine que tout le secteur d’activité est corrompu, loin de là, il y a eu sur des bulletins de salaire des choses qui ont été mal faites intentionnellement, par exemple appliquer les cotisation de comité d’entreprise alors que l’entreprise n’a pas de CE, ça parait illégal. Il y a des lois encore une fois, il suffit de faire appliquer les lois pour régler ces problèmes.

 

Après on a eu un petit souci, lorsqu’on a négocié la convention collective, encore une fois c’est une branche toute neuve, et au niveau des frais de gestion, ça a été un peu flou, ce n’est pas écrit aussi clairement qu’on le voudrait, et malheureusement un employeur ou plus s’est engouffré dans la brèche et a profité de ce flou pour abuser ses salariés, afficher un taux de gestion très bas pour attirer des salariés portés, et après en se disant, il faut bien les récupérer et rajouter des lignes en bas de salaire, c’est pas normal.

Donc les partenaires sociaux se sont remis autour de la table et on a essayé de clarifier un peu plus sur ce point les frais de gestion, maintenant on sait très bien que quelqu’un qui veut contourner la loi y arrivera toujours.

 

–           Matthieu c’est vraiment ce que Sébastien appelait les fondations, il faut que tout le monde se mette autour du chantier et participe.

 

–           C’est exactement ça, un secteur qui se construit c’est un secteur qui apprend, ce n’est pas un secteur parfait d’entrée de jeu. Il faut laisser du temps au temps.

On peut passer son temps, en revanche, à avoir des regrets, s’interroger. La réalité, ça se construit par l’action, différents types d’action, le dialogue social, c’est ce que l’on entretient avec les partenaires sociaux et c’est ce que les uns et les autres en responsabilité mettent en avant, et ça a été notre fédération, c’est la responsabilité qu’on a considéré être la nôtre, de mettre en place aux côtés de l’AFNOR des travaux de normalisation.

C’est important des travaux de normalisation, on a parlé tout à l’heure des grands principes, on peut toujours par facilité, se réunir à quelques uns dans un cadre privé, choisir entre soi ce que l’on souhaite mettre en oeuvre, ça peut se faire.

 

La réalité est différente, juste un exemple : vous connaissez tous les labels bio, la réalité pour le consommateur du quotidien, vous retrouvez des produits qui ont tous un label bio. Lequel est le meilleur ? Vous vous posez sans doute tous la question.

Le principe de normalisation c’est que d’entrée de jeu, le principe du consensus : vous mettez tout le monde autour de la table et vous avancez pas à pas dans le consensus. C’est l’esprit qui nous a animé à la base et dans lequel on engage l’ensemble de nos travaux de normalisation, c’est l’esprit de notre fédération.

 

–           Merci Matthieu, Yves Besset, avant de poursuivre sur la question de la normalisation, les soucis qu’on vient d’évoquer posent la question de la communication des informations aux salariés portés, on parle de l’entreprise de portage, comment on assure cette transparence, comment on informe mieux le salarié porté sur ses droits et la manière dont on travaille ensemble ?

 

–           Je dirais que tout simplement, lorsqu’on est une entreprise responsable, on met en place des documents, des supports, de façon à ce que tout soit transparent et clair.

Pour notre part on a des frais de gestion très élevés, mais on n’a pas de ligne en bas du salaire, tout est bien défini à travers un guide du portage, un document interne qui n’a pas d’obligation légale, dans le contrat de travail je pense qu’on a bien travaillé, on a fait un contrat de travail logique.

 

On prend en fin de compte le sujet bien avant, c’est à dire que notre coeur de métier c’est 80% de notre chiffre d’affaires c’est le bâtiment. Ce sont des gens qui sont particulièrement indépendants, qui n’ont pas besoin d’être guidés dans leur coeur de métier, mais qui ont un énorme besoin d’être accompagnés au niveau paperasse comme ils disent. On commence bien avant, en disant « pépère tu vas faire un chantier, est ce que tu as étudié quelle va être ta rentabilité prévisionnelle? », on démarre du chiffre d’affaires et on dit « combien de temps ta prestation va-t-elle durer? », « quels sont les frais engagés en terme d’achats qui vont te servir à réaliser ta prestation? », on arrive à une marge brute et le législateur a prévu un compte d’activité, c’est tout naturellement qu’on passe de la prestation au compte d’activité et au salaire. Chaque fois qu’on émet un salaire, il y a le détail, centime par centime de ce qui est dans le compte d’activité et si l’intervenant porté veut revenir en arrière il a dans son constat intranet, tout son passé

 

–           Jean Yves carbourg, vous aussi la communication autour des frais de gestion, de faire figurer les services proposés par l’entreprise de portage, peut être dans une forme de convention de portage, c’est quelque chose que vous défendez ?

 

–           Oui mais pas de n’importe quelle manière.

Il y a un angle mort du portage, c’est qu’entre le travailleur porté et le client, il y a nécessairement une entente, un lien que nous autres juristes avons du mal à qualifier juridiquement, il s’agit sans doute d’un accord, d’un contrat passé oralement. Il y a donc un échange, des échanges d’informations à ce niveau, sur le niveau de prestation à fournir, la rémunération, et c’est cet accord qui est ensuite transposé dans le contrat de travail. Il s’agit d’un accord courant dans la vie des affaires, mais ce qui fait l’originalité du portage, c’est qu’on va retrouver ces accords dans un contrat de travail, qui n’a pas vocation à traiter de ce genre de choses par vocation.

On retrouve des paradoxes du contrat de travail appliqué au portage, ce qu’on souhaite c’est le régime du contrat de travail mais pas le lien de subordination et ce qui va avec. Comment réussir à donner une apparence légale, c’est à dire à révéler cet accord de droit des affaires dans un contrat de travail ?

Le compte d’activité est évidemment un élément, mais il me semble que si les pratiques qui ont été décrites tout à l’heure venaient à se développer, on l’a vu en droit de la consommation, en droit du travail, le législateur serait amené à intervenir et c’est jamais bon, parce que le législateur ne pense pas à tout et il est là pour réguler, donc mieux vaut anticiper.

On peut anticiper par la voie de la normalisation, mais c’est du droit mou, mais après tout, il y a dans le cadre d’une normalisation, un engagement unilatéral, ça peut être un engagement unilatéral des entreprises de portage ou des portés eux-mêmes, mais moi en tant que travailliste je vous dirais que le meilleur instrument c’est celui de l’accord collectif, de la négociation collective, tant pour l’image de la profession, que pour les intérêts bien compris de chacune des parties, il faudrait s’engager dans une négociation collective qui, à l’image de ce que vous venez de décrire, prévoirait toutes les lignes du compte d’activité.

 

Il y a aussi un aspect, les structures de portage sont là pour gagner de l’argent, c’est toujours tabou en France. Le facility management, on dit il y a cost + fees, c’est à dire, il y a ce que vous coutez en tant que travailleur porté, parce qu’il y a des locaux, on met du matériel à votre disposition, et puis à ces coûts on ajoute des droits et c’est la rémunération bien légitime de la structure de portage. Je comprends bien que dans un secteur concurrentiel ce soit un sujet délicat.

 

–           Justement dans un secteur concurrentiel qui serait amené à le devenir plus encore, des bonnes pratiques, est-ce une illusion, est-ce possible ? Nicolas Birouste votre avis là dessus ?

 

–           J’ai pas d’avis sur la qualité des bonnes pratiques, à vous de vous déterminer.

Par contre l’avis que j’ai, c’est sur la manière dont les bonnes pratiques peuvent générer de la qualité sur les marchés, c’est différent. Et la normalisation est là, elle n’est pas en train de réinventer le sexe des anges.

C’est pour ça qu’elle est complémentaire avec l’ensemble des dispositifs régaliens et issus du dialogue social, on n’est pas en train de regarder si c’est le meilleur, on est en train de regarder si, en terme de faisceaux d’indices, on peut agréger l’ensemble des dynamiques pour être robuste, fiable et qualitatif en terme de satisfaction client.

J’ai bien aimé, Emmanuelle Barabra qui a remis le client au centre de tout ça, et la normalisation elle agrège vers le client, donc oui, créer des bonnes pratiques, s’adosser à l’ensemble des dispositifs, régaliens d’un côté et issus du dialogue social de l’autre, parce que la normalisation volontaire ne se substitue pas à la règlementation ni au dialogue social.

Par contre regarder comment construire sur une approche déontologique, sur une approche de la qualité de service et d’accompagnement, sur une approche de la mesure de cette qualité de service et de la capacité de chacun à s’améliorer, ça c’est le rôle de la normalisation, ni plus ni moins.

 

–           Eric Courpotin, qu’est ce que vous en attendez de ces travaux de normalisation ?

 

–           Les travaux de normalisation, je dirais, c’est une chose, je vais vous faire une réponse à la normande, avant même de parler de normalisation, il faut déjà qu’on termine les bases, la convention collective n’est pas encore aboutie, nous sommes en accord de méthode, nous devons travailler sur différents points.

Evidemment on peut parler de normalisation, ça peut être intéressant dans bien des cas, mais nous sommes au tout début de cette branche qui est toute neuve, et nous parlons de convention collective, mais uniquement des salariés portés, mais il y a encore la convention collective des salariés des entreprises de portage à créer, on est aux prémices des fondations, et le béton vient d’être coulé, il n’est pas encore sec, attendons que ça sèche bien, et après il y aura des normes.

 

Oui, pour la normalisation, je suis pour, en tant que syndicaliste je ne peux pas être contre ce qui va dans le bon sens et ce qui amène à une certaine loyauté entre les entreprises dans la concurrence qu’elles peuvent avoir, je dirais, laissons le temps au temps, on est au début, les partenaires sociaux ont confiance, c’est de manière unanime que les partenaires sociaux ont voulu travailler sur cette convention collective, ça prouve une volonté de faire et de réussir, donc laissons nous le temps encore un peu pour travailler, faire aboutir cette convention et on se revoir aux assises prochaines peut-être, et on fait un point sur la convention collective.

 

–           Si vous voulez bien, je suis tout à fait d’accord. Le processus de normalisation est un processus qui prend trois mots: collectif, maturation et dans notre cas, expérimentation.

Trois mots importants, qui convergent bien vers ce que vous évoquez : collectif on est sur le consensus, le consensus c’est pas l’unanimité, c’est pas le vote, c’est le débat contradictoire qui permet à chacune des catégories représentées dans le tour de table, de trouver son compte dans ce qui est écrit. Ce qui veut dire qu’on n’arrête pas le débat tant qu’il n’y a pas consensus.

Deuxième mot : maturation. Un processus de normalisation, on ne peut pas le faire en 15 jours, parce qu’on n’a pas le temps de la maturation, se mettre sur un coin de table et gratter un référentiel, on est tous capables de le faire, mais est ce qu’il sera représentatif des intérêts collectifs ? Je rappelais tout à l’heure l’importance de la représentativité dans le tour de table. C’est pas l’exhaustivité, la représentatif c’est que toutes les personnes qui ont un intérêt (professionnel, producteur, prescripteur, utilisateur) dans le cadre d’une activité puissent venir s’exprimer, donner leur vision, partager pour co-construire ce document de référence. Le temps de la maturité c’est le temps de débat, et je rejoins la dynamique de dialogue social qui s’inscrit complètement dans le temps du débat.

Troisième temps, l’expérimentation. Le document qui va être produit ne sera pas figé, une fois qu’il sera publié il sera revu, à peu près tous les ans, pour qu’à titre expérimental, ce document puisse être approprié par le terrain, c’est l’appropriation qui compte, pas le fait que ce machin soit posé sur un coin d’étagère et qu’on soit tous fiers d’avoir contribué à l’élaboration de la norme.

Non, une norme n’a d’intérêt et de sens que si elle est utilisée. Pour être utilisée, il faut qu’elle représente toutes les positions des acteurs et qu’elle soit légitime à être utilisée sur le marché, c’est ça l’enjeu du processus de normalisation.

 

–           Vous baissez votre regard sur ce processus de normalisation, en tant qu’entrepreneur, quel est-il ?

 

–           Je dirais que ce processus est un point de passage obligé, en ce sens que toute entreprise qui se respecte doit avoir un certain nombre de bonnes pratiques. C’est pas la loi de la jungle, surtout qu’il y a de nombreux intervenants portés, de nombreux salariés dans ces entreprises et il faut qu’il y ait une unité de direction. C’est un point de passage obligé.

Lorsqu’on a décidé à la FEPS de se pencher sur cette notion de bonnes pratiques, on s’était plus ou moins dit, on va se mettre autour d’une table et on va écrire. Très rapidement on s’est aperçus qu’on faisait fausse route et c’est tout naturellement qu’on s’est tournés vers un professionnel et on a regardé l’AFNOR en se disant, ils savent, ils vont pouvoir nous guider et nous encadrer.

 

–           Quelles sont les prochaines étapes, Matthieu aussi, de quelle manière vous voyez les travaux de normalisation sont en cours, qu’est ce que ça peut changer à terme ?

 

–           C’est difficile de dire à ce stade

 

–           Qu’est ce qu’on en attend du coup ?

 

–           On s’inscrit sur un long temps de réflexion, un gros 18 mois de travail avec l’ensemble des parties prenantes et on fait un double focus, sur la partie qualité et la partie accompagnement, et j’incite sur la partie accompagnement parce que c’est quelque chose qui peut être abordé dans le cadre du dialogue social mais pas suffisamment loin par rapport à la réalité du quotidien de l’entreprise, du salarié porté et de l’entreprise cliente. Ce fameux triptyque est essentiel dans nos travaux de normalisation. Donc c’est surtout cette notion d’accompagnement où on va vraiment travailler, à ce stade de nos travaux on a une première ossature du document qui est en train de faire consensus, les prochaines étapes ça va être de rentrer en profondeur dans ce qu’on met sur cette ossature

 

–           Nicolas Birouste vous vouliez ajouter quelque chose

 

–           Oui, je ne suis pas un spécialiste de votre secteur d’activité, j’entends que ça fait railler sur les problèmes de terminologie. C’est très marrant parce que le normalisateur est un terminologue donc il a cette vocation à essayer de faire converger des bonnes pratiques et des définitions sur des bonnes pratiques et c’est vrai que c’est intéressant de voir que votre secteur se développe à la vitesse grand V, vous rappeliez que vous avez une croissance à 2 chiffres, c’est un marché en pleine expansion, qui doit effectivement trouver des bonnes pratiques pour avancer collectivement, avec des opportunités d’ouverture et notamment sur la dimension européenne et vous le rappeliez, les différentiels de droit et de pratique entre les différents Etats, pourtant couverts sous une même union, c’est extraordinaire, et 10% de la normalisation se fait au niveau français, généralement elle est préparatoire de ce qui peut intervenir au niveau européen et au niveau international, et je trouve qu’enclencher une dynamique de normalisation, concomitamment avec un corpus plus positif qui se constitue, est là une anticipation habile pour agréger les marchés de demain

 

–           Jean-Yves Carbourt, votre position sur ces travaux de normalisation en cours

 

–           Pour avoir une vision un peu prospective, je me dis que ces travaux peuvent conduire à se demander si les structures de portage peuvent pas fournir d’autres services, on parlait de la qualité, est ce qu’on peut imaginer aller plus loin ?

Si je viens et que je vous dis demain que je veux une activité portée de promoteur immobilier, vous allez porter tout ça, il me faut 20 millions d’euros, vous pouvez me les trouver ? Je force le trait mais aujourd’hui, les travailleurs portés sont certes autonomes mais n’ont pas la volonté de créer une entreprise qui nécessite des fonds, ce sont pas des entrepreneurs capitalistiques.

 

Est ce qu’on peut imaginer, plutôt que de tirer vers le bas, à la fois les frais de gestion et la qualification des travailleurs en allant chercher des caissières ou des coiffeurs, est ce qu’on peut pas tirer vers le haut ? Et je pense qu’en allant sur ces types de marchés, c’est beaucoup plus rémunérateur, on monte dans la chaine de valeurs, et la normalisation peut aider à réfléchir sur ces questions

 

–           Moi je voudrais ajouter qu’il faut se projeter vers le futur, mais il y a quelque chose que je n’ai pas dit dans ma présentation première, c’est que parmi nos intervenants portés, 20% de ceux qui sont passés dans le portage ont créé leur entreprise, ils sont venus pour tester un modèle économique, se dire « est ce que je me lance ? Est-ce que je suis sur la bonne route? » et un un jour ils ont dit, c’était vachement sympa mais maintenant je dois passer à autre chose. Et même là ils ont continué à dire à leurs potes qui démarraient, « transite d’abord par le portage, transite d’abord chez AVS », je crois que c’est important de dire que le portage salarial est un tremplin.

 

–           Trois autres sujets qu’on doit aborder, qui sont les objectifs que vous défendez, cette question de remplacer entreprise cliente, par « client », cette question d’abaisser le niveau de rémunération qui peut être négatif, l’intégration des services à la personne, quelle regard vous portez là-dessus? Ce sont aussi d’autres combats pour l’ouverture au plus grand nombre

 

–           L’ouverture au plus grand nombre peut être pas mais de toute façon une ouverture indispensable. Il faut se souvenir qu’un porté c’est quelqu’un qui veut rester indépendant. Le côté salarié est secondaire pour lui.

Il y a trois voire quatre points sur lesquels je voudrais revenir.

Actuellement le portage est très discriminatoire, il y a une orientation vers les cols blancs au détriment des cols bleus qu’on oublie, pourtant ils sont tout aussi autonomes, c’est vrai que de temps en temps ils ont les mains sales mais le consultant se fait des tâches d’encre de la même façon.

Les axes sur lesquels il nous faut réfléchir c’est d’élargir les classifications qui sont retenues. L’ordonnance a été un grand pas en avant, elle a fixé un cadre de diplôme, de niveau, heureusement il a été prévu que tout ça peut être remplacé par 3 ans d’expérience. Pourquoi ne pas ouvrir le panel et dire qu’un compagnon professionnel qui a fait son tour de France pour aller réparer des cathédrales, il est autonome, pourquoi lui dire « ah non tu peux pas être porté, tu gagnes pas suffisamment en plus, c’est élitiste le portage, on ne peut pas te porter ». Un chef d’équipe c’est un cadre, un petit cadre mais c’est un cadre dans le bâtiment, pourquoi le mettre sur la touche ? C’est discriminatoire

 

–           C’est votre premier sujet

 

–           Oui le premier, après cette notion de client, c’est assez amusant. Le texte dit qu’il faut que le client soit une entreprise client. A paris ça pose pas de problème mais regardons le Larzac, celui qui veut être porté dans le Larzac, qui veut bricoler dans le bâtiment, en fin de compte il a très peu de sociétés avec lesquelles il peut travailler, par contre il y a une multitude de particuliers qui aimerait bien qu’on puisse venir travailler, remplacer un mur, poser de la tapisserie, et bien non le portage salarial ne lui est pas ouvert.

Et donc ce porté va être obligé de tricher, le français est ainsi fait, lorsqu’il y a une contrainte = opportunité, il cherche une solution pour s’en sortir. Il suffit qu’il ait un copain qui a une entreprise de bâtiment avec laquelle il travaille de temps en temps et quand il a un client particulier il va le voir « est ce que tu peux servir d’entreprise tampon ? Tu prendras ta commission au passage, mais j’aurai contenté mon client ».

Donc la notion de client, après la notion de prix de marché, je vais me tourner encore vers la construction mais en me rapprochant du client : lorsqu’on fait une prestation il y a un prix de marché en fonction de la concurrence, de la région, d’un tas de critères et manque de pot quand on est porté il y a un salaire minimal, « ah mince je suis en dehors du prix du marché ».

Heureusement les portés sont malins ils ont vu qu’ils pouvaient s’en rapprocher d’une façon plutôt bête, quand il fait son compte d’activité, il a vendu une prestation mais pas des heures, et même si il y a passé 100 heures il va en déclarer 70 et il aura le salaire qu’il faut.

Il y a d’autres professions, il y a des gens qui vivent de leur passion, pourquoi un guide de montagne, un moniteur de ski ne pourrait pas être porté ? Il vit de sa passion et c’est vrai que sa passion passe avant son salaire ?

 

–           Autre question, là on est encore sur autre chose mais on retient bien, entreprise client de quelle manière ça peut être limitatif, le salaire.

 

–           J’arrivais au service à la personne, le législateur a dit non les services à la personne ne peuvent pas être portés. Il est vrai que pour certains services à la personne il faut un agrément personnel mais ça ne représente qu’une toute petite part des services à la personne.

Dans le code du travail il y a un article qui en décrit trois ou quatre, et à côté il y a celui qui va tondre la pelouse, lui n’a pas besoin d’agrément, pourquoi il serait sur la touche ?

 

–           Par rapport à ce que disait Emmanuelle Barbara qui disait peut être qu’il faut d’abord consolider, tester.

Pour conclure, une question sur le dialogue social entre entreprises de portage salarial et salariés portés mais aussi bien sûr au sein de l’entreprise de portage, les points qui peuvent être améliorés ?

 

–           Les salariés au sein des entreprises de portage, pour l’instant il n’y a rien de fait puisque les partenaires sociaux ne se sont pas mis autour de la table pour en débattre, chaque temps pour son problème, là on essaye de finaliser la convention collective pour les salariés portés, après viendra la convention pour les salariés des entreprises de portage.

 

Je voulais juste rebondir avant sur ce qui vient d’être dit, il faudrait pas que l’entreprise de portage vienne à faciliter le travail illégal, aller tondre les pelouses il existe des choses type CESU ou autres, on n’est pas obligé de passer par une entreprise de portage.

La rémunération ça a été un très long débat lors de ces négociations, au départ on voulait, l’entreprise de portage, tout le monde devait être cadre, on a réussi, je dis « on » j’ai été ardemment, j’ai vraiment essayé de faire sauter ce verrou, on a enfin réussi, effectivement il y a des cols bleus qui ont toute l’expérience nécessaire et qui peuvent rentrer dans le portage, après on dit pourquoi vous avez instauré une rémunération minimale ? C’est aussi pour en pas mettre en difficulté des personnes, c’est un sentiment pour beaucoup de français de vouloir devenir travailleur indépendant, le portage salarial c’est une très bonne transition, on a toute la protection sociale qui va avec, mais c’est une chose, ça veut pas dire qu’on en a les capacités, et il ne s’agirait pas de mettre X personnes en abaissant ce montant de rémunération, de ne pas mettre des personnes en difficulté et les amener vers l’échec.

 

Encore une fois on est aussi en phase d’expérimentation puisque quand on négocie quelque chose, c’est un pari pour l’avenir, c’est toujours plus facile de baisser la rémunération après coup, que de dire, on a mis des gens en échec on va être obligé de relever le montant, c’est aussi pour ça que ce montant a été fixé, on cherche le compromis.

 

–           Je voudrais répondre sur trois points : le premier vous avez parlé de travail illégal et je crois que le portage salarial est justement un outil pour contrer le travail illégal, la personne qui a un petit  bricolage à faire au coin de la rue, si il a pas la solution du portage salarial il va quand même le faire. Il n’aura pas d’assurance, si il a un accident du travail, mais le portage salarial, dans notre vision est un outil pour lutter contre le travail illégal, ensuite vous avez parlé de ce niveau de salaire, vous n’êtes pas sans savoir que dans la période transitoire avant d’arriver à la convention d‘avril 2015 il y avait un niveau de salaire minimum moyen qui était de 1700 euros pour les entreprises de portage qui avaient plus de 10 ans. Dans mon esprit ça n’a pas marché plus mal que maintenant, et enfin je voudrais vous poser une petite question, par rapport à la discrimination : il me semble qu’il y a une loi de 2008 et dans les articles L1132 et suivants du code du travail qui dit « constitue une discrimination la situation dans laquelle une personne est traitée de moins favorable qu’une autre dans une situation comparable », qu’en pensez-vous en tant que syndicaliste ?

 

–           C’est une question piège. La discrimination peut se loger n’importe où, on va en trouver dans tous les secteurs. Là dans le cas que vous citez, ça peut être interprété comme une discrimination, jusqu’à présent il n’y a pas eu de procès en tout cas là dessus, affaire à suivre

 

–           Parce qu’on n’a pas été assez réactifs, on ne savait pas qu’on n’avait que deux mois pour lancer l’affaire

 

–           Merci, Nicolas Birouste je vous laisse répondre

 

–           Sans discrimination, ce que je voulais vous dire, le portage salarial a besoin de vous, si vous voulez une norme de qualité qui puisse structurer, poser les éléments, les critères, les recommandations d’un cadre de marché de confiance, en complément des dispositifs dont on a parlé, rejoignez-nous, la normalisation est l’affaire de chacun d’entre vous, c’est vous qui la ferez

 

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