Article de Cécile Crouzel – Le Figaro, 4 mars 2019
Être indépendant dans son travail tout en étant protégé : cette conjugaison des deux mondes est possible en France via le portage salarial. Concrètement, le travailleur signe un CDD ou un CDI avec une société de portage et bénéficie, en tant que salarié, de la protection sociale tout en étant déchargé des tâches administratives. Il cherche lui-même ses clients et ses périodes sans prestation ne sont pas rémunérées. En contrepartie, il paye une commission à la société de portage.
Aujourd’hui, quelque 86 000 personnes travaillent en portage salarial en France, majoritairement à temps partiel, et ce pour 728 sociétés, selon une étude de la Fédération des entreprises de portage salarial (FEPS) que Le Figaro dévoile. Ils n’étaient que 40 000 en 2014. Née il y a une trentaine d’années, la formule connaît un succès croissant car elle est phase avec la demande d’autonomie des Français et adaptée au numérique. Elle ne se limite plus aux cadres seniors qui se lancent dans le conseil, mais concerne de nombreux secteurs – le BTP et l’artisanat viennent en second, après les services aux entreprises.
Déficit en régions
Pour la FEPS, ce développement pourrait être plus rapide si certains freins étaient levés. Le premier est celui de l’ignorance : 16 % à peine des Français connaissent le portage salarial, selon un sondage Ipsos. Les autres sont juridiques. La loi prévoit une rémunération minimale pour le salarié porté, fixée à 75 % du plafond mensuel de la Sécurité sociale, soit 2 532 euros brut mensuels en 2019. En outre, il faut être diplômé bac + 2 ou plus, ou avoir au moins trois ans d’expérience professionnelle dans un secteur, pour se lancer. « Ce cadre est trop contraignant, notamment pour les quadras ou quinquas en reconversion qui veulent souvent changer de métier et ne peuvent espérer de tels niveaux de revenus. Rien que le seuil de salaire exclut plus la moitié de la population active », déplore Guillaume Cairou, fondateur et président du groupe de portage Didaxis-Hiworkers et président de la FEPS.
Conséquence de ces barrières, le portage salarial se trouve essentiellement en Île-de-France (40 % du chiffre d’affaires du secteur), là où se concentrent les prestations à valeurajoutée. Un gâchis, alors que le chômage frappe de nombreuses régions. Dernier écueil, les clients des salariés portés sont censés être des entreprises, ce qui crée une insécurité juridique pour ceux qui travaillent avec des particuliers.
La FEPS propose donc d’ouvrir la clientèle aux particuliers et d’encourager l’accès aux marchés publics. Et surtout, de ramener le seuil de salaire à 50 % du plafond de la Sécu (soit 1 688 euros). De quoi espérer atteindre près de 273 000 emplois dans le portage salarial en 2024, contre 157 000 en l’absence d’évolution juridique, selon la fédération patronale. La suppression de tout seuil aboutirait, elle, à atteindre les 461 000 emplois en 2024 et 1,2 million en 2030.
Les jeunes, les personnes éloignées de l’emploi pourraient alors bénéficier du portage sans concurrencer l’intérim. « La démarche est différente. Le salarié porté crée lui-même son activité », rétorque Guillaume Cairou, qui propose d’expérimenter ces assouplissements dans certaines régions. Reste à convaincre les pouvoirs publics, tiraillés entre la nécessité de lutter contre le chômage et la peur d’encourager l’emploi atypique.
Retrouvez l’article sur le site du Figaro
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