La Grande Histoire du portage salarial

D’abord un dispositif d’utilité sociale


Le portage salarial naît dans les années 1980. Il est d’abord un eldorado d’experts, cadres seniors affichant de hauts niveaux de rémunération. Passés brutalement de l’encadrement à la recherche d’emploi, ils furent parmi les premières victimes de la fin des Trente Glorieuses. Grâce au portage salarial, ils créèrent leur propre activité salariée, celle-là même que les entreprises ne leur offraient plus.


Les premiers entrepreneurs du portage salarial furent des pionniers ; ils créèrent quelques emplois durables pour autant de travailleurs qui perdaient espoir. Ils sauvèrent littéralement des carrières et exerçaient finalement un entrepreneuriat dont la noblesse n’avait d’égale que la difficulté, le modèle économique incertain de leurs sociétés – peu d’entreprises nous sont restées de cette époque –, se conjuguant amèrement à un vide juridique absolu. Confidentiel, le portage salarial recollait alors humblement quelques morceaux d’un plein emploi que la mondialisation allait faire voler en éclats. Tout ceci dans l’ombre du grand public, des partenaires sociaux et du législateur.


Au fil des années, le portage salarial s’est imposé comme une variable d’ajustement aux changements de notre société. Il était devenu plus visible, quoiqu’encore largement inconnu du public. Son économie, elle, était mieux structurée. C’est dans ce contexte qu’entre 1998 et 2004, les premières organisations patronales du portage apparaissent. De leur côté, les syndicats de salariés commencent à s’intéresser au phénomène. De là naît naturellement une nécessité : celle d’organiser un secteur en pleine croissance. Les non-cadres eux, commencent à y avoir recours, car ils sont de plus en plus nombreux à faire face au chômage.


Trois accords mouvementés


C’est en 2007 que naît la première convention collective du portage salarial. Elle est négociée sous la tutelle de la Chambre des ingénieurs conseil de France (CICF) au travers du Syndicat national des entreprises de portage salarial (SNEPS), qui est un de ses adhérents. La CICF est puissante : elle a cosigné avec le SYNTEC la fameuse convention collective nationale des personnels des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil, plus célèbre sous le nom de Convention Syntec.


Les membres de la CICF craignent, comme le SYNTEC, que le portage salarial fasse concurrence aux sociétés de conseil. C’est donc tout naturellement que ladite convention apparaît davantage comme un moyen de limiter cette concurrence que comme une véritable elle ne concerne que les métiers représentés par le SYNTEC).


Cette convention est d’ailleurs très restrictive et ne concerne que les métiers de la convention collective nationale du SYNTEC et les entreprises ayant adhéré au SNEPS (Syndicat national des entreprises de portage salarial), tout en imposant des seuils de rémunération trop élevés. Côté syndical, la CGT et FO, hostiles au portage salarial, ont refusé de signer. La convention prévoit que les portés relèvent obligatoirement du statut cadre. Le SYNTEC, ainsi que des non-signataires, ne sont pas favorables à son extension ; l’accord meurt dans l’œuf.


Le 11 janvier 2008, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la modernisation du marché du travail est signé entre partenaires sociaux. Son article 19 « Sécuriser le portage salarial » souligne l’absence d’encadrement législatif du portage, mais admet qu’il répond « à un besoin social dans la mesure où il permet le retour à l’emploi de certaines catégories de demandeurs d’emploi ». Alors, un fait inédit survient : les partenaires sociaux chargent expressément la branche du travail temporaire d’organiser le secteur du portage salarial avec une convention collective. Les syndicats patronaux du portage salarial, ainsi que leurs entreprises, n’auront dès lors qu’un rôle de figuration. Etonnamment, c’est une organisation extérieure au portage salarial, donc par définition non-représentative dans le secteur, qui se chargera de sa convention collective. Les partenaires sociaux sont conscients de cet écueil, et présentent cette décision comme une « exception ».


Le 25 juin 2008, l’article 8 de la loi portant modernisation du marché du travail définit pour la première fois le portage salarial, en 57 mots : « Le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle ». La loi reprend les éléments de l’ANI et justifie la préemption du portage salarial par un syndicat du travail temporaire par l’idée que l’intérim serait la « branche dont l’activité est considérée comme la plus proche » du dispositif. Le PRISME (syndicat patronal du travail temporaire) a jusqu’au 26 juin 2010 pour parvenir à un accord.


Le 24 juin 2010, Le PRISME présente un ultime projet, deux jours avant la fin du délai imparti et après avoir tenté de vider le portage salarial de sa substance ; les acteurs ont par exemple souhaité imposer un contrat commercial au lieu d’un contrat de travail. S’il ne reprend pas ces idées dangereuses, l’accord restreint fortement l’accès au portage salarial, avec une rémunération minimale mensuelle de 2 900 euros bruts. Il est ratifié par l’ensemble des partenaires sociaux, y compris par la CGT, heureuse de voir naître un portage restreint. Seule FO refuse toujours de le signer.


Le 3 novembre 2010, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) est chargée d’analyser les conséquences d’une éventuelle extension, qui rendrait la convention collective applicable à toutes les entreprises de portage salarial. En septembre 2011, elle conclut à l’impossibilité de procéder à l’extension, à cause de restrictions injustifiées contenues dans l’accord. L’administration affirme par exemple qu’il introduit des discriminations entre cadres et non-cadres. L’IGAS va même plus loin : selon elle, les syndicats ont outrepassé leurs fonctions en conditionnant l’application de la convention collective à des évolutions législatives ultérieures. Or ces derniers n’ont pas à statuer avant la loi.


Cependant, cela n’empêche pas le syndicat patronal PEPS (issu de la fusion des syndicats SNEPS et FeNPS) de militer pour l’extension de cette convention collective, main dans la main avec l’intérim, alors qu’elle a manifestement été construite sur des bases illégales. On peut dès lors s’étonner de constater que les représentants actuels du PEPS ont travaillé main dans la main avec un syndicat patronal dont le seul objectif était de restreindre au maximum l’activité de portage salarial, afin que ce dispositif ne lui oppose qu’une faible concurrence. On peut également s’étonner de la position de la CGT, qui s’est


Le 17 mai 2013, Hubert Camus, alors vice-président du PEPS, devenu son président depuis, affirmait avoir « beaucoup travaillé à la future extension de l’accord » afin que le Gouvernement procède à l’extension d’un accord que le ministre du Travail précédent, Xavier Bertrand, n’avait pas voulu étendre, en écoutant son administration.


L’accord est étendu